@ Les cahiers d'Aflam 2023
Traduit par: Mathilde Rouxel
Une caméra en mouvement, une image qui tremblote sur une route, quelque part, et une voix qui nous lit ce qui semble être une lettre. C’est une lettre adressée à Omar Amiralay par sa collègue et amie de plusieurs décennies, Hala Alabdalla. La voix cherche à envoyer un message à Omar en son absence, ou peut-être à nous dépeindre Omar comme un «réalisateur rebelle», comme il sera décrit plus tard dans le film.
L’image glisse ensuite vers le visage d’Omar. Celui-ci demande pourquoi Hala veut faire un film sur lui. Elle me dira plus tard lors d’un appel téléphonique : «À l’origine, c’est un film sur Omar et ses relations avec les femmes, en particulier avec sa mère. Cela m’intéressait personnellement, mais aussi de manière générale, en raison de son impact et de sa position importante dans la société. Il y avait une aura autour d’Omar, une aura que les autres pouvaient voir».
Alabdalla voulait faire son film avec une approche féministe, en dressant un portrait d’Omar Amiralay qui ne discutait pas directement de ses films. Mais la mort soudaine de ce dernier en février 2011 ne lui a pas permis d’achever ce qu’elle avait commencé.
Environ dix ans après le premier tournage, Alabdalla est retournée à sa matière première pour faire quelque chose de nouveau. Elle s’est appuyée sur les deux longs entretiens qu’ils avaient réalisés tous les deux au domicile d’Amiralay à Damas, alors qu’il s’occupait de sa mère malade, décédée quelques mois plus tard.
Le film qui en résulte a été construit à partir de ces entretiens initiaux, alors que son plan initial prévoyait que le tournage principal aurait lieu plus tard. La résolution des images du film était donc faible, les prises de vue rapides, et le son plutôt pauvre. Mais chacune des deux fois où Omar s’est assis devant la caméra, il a offert à Hala une quantité surprenante d’informations. Il a parlé de son appartenance identitaire, du fait qu’il a d’abord voulu être un officier militaire et non un cinéaste. Il s’imaginait qu’il ferait un bon officier, à l’esprit rebelle. Le cinéma l’a éloigné de tout cela. Il a parlé de sa mère et de la relation qu’il entretient avec elle, mais aussi de la maladie de cette dernière qui joue un rôle central dans le film. Il a discuté avec Hala de cinéma et de ses films.
Le film de Hala est important parce qu’il raconte l’histoire d’Omar Amiralay avec sa propre voix, comme s’il écrivait ses souvenirs - cette fois en parlant devant la caméra. En même temps, un autre film apparaît : le film de Hala. Ses voix off, les extraits qu’elle utilise des films d’Omar, montrent en effet un autre récit, celui d’une lettre écrite par Hala à Omar.
C’est comme si le film était en fait deux films : le premier parle d’Omar, de son travail, de ses pensées et de sa vie, alors que le second raconte la relation de Hala avec Omar, leurs conversations et leur histoire commune. On perçoit ainsi combien, et comment, il lui manque.
Omar Amiralay : la douleur, le temps, le silence appartient à une école du cinéma documentaire syrien, si cette catégorisation a un sens, ce cinéma dont les fondations ont été posées par Omar Amiralay lui-même - ainsi que par d’autres réalisateurs comme Mohammad Malas et Ossama Mohammed. Un courant dont Hala m’a dit par téléphone, s’être éloignée: «Mon travail n’est pas comme celui d’Ossama [Mohammed] et d’Omar [Amiralay]. Ma façon de penser le cinéma est différente. Ma façon de penser l’aventure et la liberté est différente. Je crois au moment présent, sans rechercher la perfection. La perfection me vient en ressentant le plan».
À travers son film, Hala se souvient de son ami Omar, bien qu’elle le réalise à l’attention d’un public qui le regardera 10 ans après sa mort. Elle montre son attachement à cet ami qui lui manque à un public qu’elle ne connaît pas, différent dans différentes villes. Elle s’adresse à lui avec le langage du cinéma en lui montrant à nouveau qu’avec ce film, elle pense à son public d’une manière différente ; elle pense à ce qu’elle veut lui transmettre plutôt qu’à ce qu’il peuvent attendre d’elle. C’est la manière dont Hala a pensé tout au long de sa vie de cinéaste, et c’est l’empreinte qu’elle laisse sur le cinéma syrien - une marque qui ne s’effacera pas facilement avec le temps.
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